“File le temps” – Expo de Patrick Bories

« Baisse la tête » « regarde moi » « détends toi » « Aaron, viens ici ! » « tourne la tête à gauche… non, ça c’est la droite » « oui, voilà, oui, regarde le ciel » Bruit de déclencheur.

Petit rire malicieux.  « eh ben tu vois c’était pas difficile » Je suis dans la boîte…
On mange un bout, on boit un peu. On parle, on se marre, on s’indigne face à ce monde malade. Aaron, quant à lui, fait sa vie de chien, ramenant inlassablement des bouts de bois à lui lancer.
C’est ce qu’il y a derrière mon portrait.

Avec Patrick, l’improvisation, le ressenti, l’intuition guident les séances photo. C’est naturel, simplement.
Les modèles l’écoutent, le suivent et se donnent. Lâchent prise, en pleine confiance. La nudité est traitée avec respect. Les sirènes dans l’eau glacée, les reines dans les bois, les belles dans les prés, les simples humains juste là parce que c’était l’occasion. Sur le moment, nous, qui avons posé pour lui, croyons répondre à ses injonctions et suivre ses idées. Avec le recul, nous comprenons que ce n’était qu’une invitation à être nous même. Mais sur le moment, chut, personne ne le sait…


Son Hasselblad et son Leica sont les outils avec lesquels il compose avec précision ses clichés. En noir et blanc pour aller à l’essentiel.
Ici, les courbes d’un corps volent la vedette à l’horizon. Là, le bras d’une femme nous invite à la lire le long d’une courbe de ses yeux à sa main. Ici encore, un homme est scindé en deux par une ombre diagonale qui dissimulerait un double inversé en clair-obscur. Il ferme les yeux. Peut-être que cette photo met en lumière sa face sombre.
Chaque portrait raconte une histoire. J’ai pu constater de la mienne.

Et il y a ces regards. Ceux, perdus on ne sait où, et ceux, francs et directs. Pour ces derniers, la relation modèle – spectateur est remise en question. Vous croyez regarder, ils n’en est rien : vous vous faites dévisager. 

Le chemin continue. Développer les pellicules, tirer les photos… tout est « home made ». Le papier ? Du baryté, il n’y a que ça de vrai à ses yeux. Il offre des noirs profonds, des gris tout en douceur et rend hommage à la qualité de ses photos, de la lumière, de ses modèles.

Soigneusement encadrés, les 23 portraits présentés se retrouvent accrochés « à l’arrache » comme il dit. Mais non, moi j’y vois une portée de notes de musique. La sienne. Ses rencontres et la tendresse qu’il leur porte flottent sur ce mur. Coule l’eau et File le temps, la photo en glane ses instants…

Texte : Sabine Schubert
Photos : Philippe Pérani