Une pose longue avec Joël Bardeau


Capturer le plus fidèlement et le plus honnêtement possible toute l’émotion de l’instant magique, l’offir au regard des autres, voilà ce que j’aime. 

Joel BARDEAU

J’ai eu le plaisir de vous rencontrer il y a quelques années à l’occasion du festival photographique de Fronton où vous exposiez et animiez une conférence sur le processus créatif. Vous y étiez notamment l’invité d’honneur.
Vous aviez fait mention d’un travail régulier pour développer votre créativité. Une sorte d’entraînement.
En quelques mots, accepteriez-vous de partager des petits exemples d’entraînements pour les adhérents de PI ?

Se promener avec son boîtier le plus souvent possible : réaliser une photo par jour. Le plus important est d’avoir “l’œil dans le viseur”. Chacun peut faire ça à son domicile avec des objets du quotidien qui lui tombent sous la main, prendre 2 ou 3 objets et s’obliger à travailler différents cadrages pour aiguiser son regard et faire ses gammes.

Personnellement j’évite la fâcheuse habitude de ne photographier qu’à l’iPhone, il n’est pour moi qu’un “bloc note”.

En reprenant l’étymologie du mot photographie (phôtós « lumière » et gráphô « écrire ») littéralement « écrire avec la lumière » je me rends compte combien pour moi cette relation très forte entre dessin, peinture et photographie a un impact direct sur ma démarche artistique, aussi avoir l’œil dans le viseur le plus souvent possible me permet de vivre la photo de l’intérieur. J’ai une pratique quasi quotidienne bien facilitée par le travail en numérique qui par son faible coût (hormis l’achat) et son immédiateté permet une approche et une évaluation du résultat plus directe.

Lorsque je travaille en argentique, c’est pour des projets spécifiques pour lesquels je recherche un rapport avec le temps lent et une signature particulière.

Je travaille principalement à focale fixe: s’approcher et s’éloigner du sujet, chercher le cadre avec une optique fixe fait partie de ma démarche, de plus il y a une bien meilleure qualité d’optiques fixes plutôt qu’en trans-standard.

Vous faites énormément de portraits, il y a du mouvement dans vos clichés mais aussi des univers oniriques. Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous abordez vos idées ?

Que ce soit le portrait ou le portrait corporel c’est une façon pour moi de représenter la notion du temps qui passe, peut-être à cause de mon âge (rires).

J’aborde les portraits avec une vision sur la personne et non sur le corps. Le corps n’est qu’une enveloppe. C’est le regard sur la personne qui compte. L’enveloppe est secondaire. C’est pour cela que le nu ne me pose aucun problème ni pour moi, ni pour mes modèles: “Le nu permet tous les raccourcis vers le regard intérieur”.

L’utilisation et la combinaison de différents médiums au service des artistes plasticiens est une évidence pour moi.

J’ai eu plusieurs vies depuis le dessin et la peinture du temps de ma jeunesse au monde de l’entreprise dans le domaine chirurgical et enfin la photographie que je pratique aujourd’hui en tant qu’artiste auteur.

Vous travaillez souvent avec entre autres un Leica et un moyen format Hasselblad. Est-ce que ces équipements ont une influence sur votre travail ou bien est-ce plutôt votre travail qui requiert ce type d’équipement ?

C’est un peu les deux, mais il est vrai que je suis un amoureux du beau matériel.
Jeune, je pratiquais la photographie uniquement en N&B que je développais moi-même, ayant très peu de moyens le beau matériel me faisait rêver.
Aujourd’hui lorsque j’utilise mon Leica-Monochrome mon regard s’en souvient, et dans ce cas mon approche mentale se fait en partie en termes d’émotions. Lorsque je travaille en N&B c’est la luminance qui me guide, je recherche le subtil équilibre entre ombre et lumière, c’est cette abstraction qui me séduit.

Mes appareils sont avant tout des appareils photos encore assez éloignés des ordinateurs, ils ne peuvent pas prendre 300 photos à la seconde, la MAP y est manuelle, les menus sont simples et peuvent être utilisés par un enfant, je prends le temps de voir avant de déclencher, je ne souhaite pas que ce soit des informaticiens qui signent ma photo.

Mon regard de peintre doit aussi y être pour quelque chose ne serait-ce que pour prendre le temps de penser le résultat dès la prise de vue.

Quels sont vos prochains projets ? J’ai pu voir que vous investissiez la maison jaune de Revel. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Tout d’abord, j’exposerai chez Poussière d’Image en juin.
Un autre projet au Portugal dans les prochains mois dans un centre d’Art récemment ouvert par des amis français ‘’2REGARDS’’ à Porto. Il s’agira d’un survol de mes travaux issus des 10 dernières années, une extraction de différentes expositions et séries.

Enfin je présiderai à une exposition du 20 mai au 20 juin à la Maison Jaune à Revel, ouverte tous les weekends dans le cadre du Printemps de l’Arbre.

Le Printemps de l’Arbre est une grande manifestation organisée par le MUB de Revel (musée du bois), le grand photographe américain Michael KENNA en est l’invité d’honneur (il est notamment un des grands précurseurs de la pose longue N&B à la chambre).

Vous pouvez retrouver mes tirages depuis mon site (tous les liens ci-dessous).

Enfin la dernière question, quel est l’accessoire qui vous est précieux pour un shooting ?

Il y a 3 choses que j’utilise tout le temps.

Une carte noire découpée avec un carré ou un rectangle qui me permet de chercher mon cadrage.

Un traditionnel posemètre pour le studio comme pour l’extérieur, il me permet une plus grande précision et donc un meilleur contrôle dans l’analyse de la lumière réflective.

Et la musique ! En ce moment j’adore écouter le Requiem de Mozart lors de mes autoportraits. J’écoute également d’autres artistes tel que Tom Waits, Jacques Higelin et bien d’autres lors de mes séances.

Un grand merci à Joël Bardeau pour sa disponibilité, sa gentillesse ses connaissances et sa générosité.

10 mars 2022
Propos recueillis par Benoit Dandine


Retrouvez tous les liens pour suivre son actualité ci-après :
Site internet de Joel Bardeau
Page Facebook : Joel Bardeau

La maison Jaune – Résidence d’artistes

Le musée du bois
Site internet de Michael Kenna